Une équipe toulousaine plonge au cœur des mécanismes qui, dans le système immunitaire, mènent à la génération de lymphocytes T trop « fatigués » pour réagir contre les cellules cancéreuses. Leurs résultats montrent que cette fatigue pourrait être utilisée pour optimiser l’action des immunothérapies anti-PD1.
Depuis un peu plus de dix ans, les immunothérapies basées sur le blocage des protéines PD1, PD-L1 ou CTLA-4 – des points de contrôle immunitaires – ont changé le pronostic de centaines de milliers de patients. Mais cette révolution ne bénéficie pas à tous. En fait, seulement 20 à 40 % des patients traités voient leur tumeur régresser grâce à ces immunothérapies. Comprendre les circonstances de ces succès ou de ces échecs est un enjeu majeur pour la recherche en cancérologie, et la tâche est immense. Sebastian Amigorena, directeur du Centre d’immunothérapie de l’Institut Curie, nous le rappelait dans un entretien récent : « Dans une cellule il y a des centaines de milliers de protéines, qui interagissent en permanence les unes avec les autres. Si on considère ces millions d’interactions à l’échelle de l’organisme, on comprend vite que la biologie est bien trop complexe pour que l’on soit capable de dire de façon catégorique et exhaustive sur quelles cibles, dans quel timing et dans quelle proportion agit telle ou telle thérapie ». A en croire un récent article publié dans la revue Immunity, Ludovic Martinet et son équipe toulousaine ont bien l’intention de continuer leur exploration de cette complexité.
Dans leurs travaux récemment publiés, les chercheurs du Centre de Recherche sur le Cancer de Toulouse, se sont penchés sur les cellules susceptibles de répondre aux immunothérapies anti-PD1, c’est-à-dire les lymphocytes T antitumoraux, plus précisément sur un type d’entre eux, tenus dans un état de silence, de fatigue chronique : les lymphocytes Tex, exhausted, fatigués. Ainsi, les chercheurs ont tenté de faire la lumière sur l’action de la protéine CD137, dont ils avaient déjà évoqué le rôle trouble en 2020 (voir ci-dessous) et qui semble, selon les contextes, aider la lutte antitumorale ou limiter des réactions auto-immunes. Deux actions qui, de prime abord, sont contradictoires.
PD1, CD137 et CD226, des fils à dénouer
En 2021, nous évoquions des résultats que l’équipe de Ludovic Martinet avait obtenus en travaillant sur la protéine CD226. Cette protéine était alors identifiée comme un partenaire indispensable à l’action des anti-PD1. A l’époque, déjà, les chercheurs avaient intégré la protéine CD137 dans leur champ d’analyse. Celle-ci, en effet, était la cible d’une stratégie naissante d’immunothérapie et semblait agir sur des mécanismes communs avec CD226.
Parmi les principales conclusions des chercheurs, figure tout d’abord la capacité de la protéine CD137 à augmenter la proportion de lymphocytes Tex au cœur des tumeurs. L’activation de CD137 favorisait la différenciation de lymphocytes T en lymphocytes Tex mais aussi la prolifération de ces derniers. En outre – et c’est évidemment capital – les chercheurs ont pu établir le fait que, dans leurs modèles expérimentaux, l’activation de CD137 déclenchée après un traitement par anti-PD1 optimisait clairement l’effet de l’immunothérapie (et que le timing inverse produisait l’effet inverse !).
Dans l’article publié, ces observations sont accompagnées d’une quantité considérable de données permettant de préciser la nature des cellules concernées et les cascades moléculaires impliquées. Quel est le stade de différenciation des Tex sensibles aux anti-PD1 ou à l’activation de CD137 ? Où se joue cette activation ? Retrouve-t-on – et dans quelles proportions – certaines signatures moléculaires spécifiques des Tex dans les bases de données établies à partir des échantillons tumoraux provenant de patients ? Ces informations éclairent, avec mille nuances, le mystère du mode d’action précis des immunothérapies anti-PD1 et ouvrent une nouvelle perspective pour les optimiser. Reste à confronter ces incursions dans la complexité des modes d’action à la réalité clinique pour savoir si le ciblage de CD137 peut, chez les patients, améliorer les immunothérapies anti-PD1.
R.D.
Source : Pichler, A.C. et al ; TCR-independent CD137 (4-1BB) signaling promotes CD8+-exhausted T cell proliferation and terminal differentiation ; Immunity ; 11 juillet 2023